Charles Baudelaire: Les fenêtres / Las ventanas
8 de julio de 2015
Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n'est pas d'objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu'une fenêtre éclairée d'une chandelle. Ce qu'on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie.
Par-delà des vagues de toits, j'aperçois une femme mûre, ridée déjà, pauvre, toujours penchée sur quelque chose, et qui ne sort jamais. Avec son visage, avec son vêtement, avec son geste, avec presque rien, j'ai refait l'histoire de cette femme, ou plutôt sa légende, et quelquefois je me la raconte à moi-même en pleurant.
Si c'eût été un pauvre vieux homme, j'aurais refait la sienne tout aussi aisément.
Et je me couche, fier d'avoir vécu et souffert dans d'autres que moi-même.
Peut-être me direz-vous: «Es-tu sûr que cette légende soit la vraie?» Qu'importe ce que peut être la réalité placée hors de moi, si elle m'a aidé à vivre, à sentir que je suis et ce que je suis?
Quien mira desde afuera a través de una ventana abierta nunca ve tantas cosas como el que mira una ventana cerrada. No hay objeto más profundo, más misterioso, más fértil, más tenebroso, más deslumbrante que una ventana iluminada por una vela. Lo que se puede ver al sol es siempre menos interesante que lo que ocurre detrás de un vidrio. En ese agujero negro o luminoso vive la vida, sueña la vida, sufre la vida.
Más allá de las olas de los techos, descubro una mujer madura, arrugada ya, pobre, siempre inclinada sobre algo, y que no sale nunca. Con su rostro, con su ropa, con sus gestos, con casi nada, reconstruí la historia de esta mujer, o más bien su leyenda, y a veces me la cuento a mí mismo llorando.
Si hubiera sido un pobre viejo, hubiese reconstruido la suya con la misma facilidad.
Y me acuesto, orgulloso de haber vivido y sufrido en otros que no son yo.
Quizá me digan ustedes: "¿Estás seguro de que esa leyenda es la verdadera?" ¿Qué importa lo que pueda ser la realidad situada fuera de mí, si me ayudó a vivir, a sentir que soy y lo que soy?
Le Spleen de Paris - Petits poèmes en prose (1869)
Versión castellana en Poesía francesa del siglo XX
traducida por Raúl Gustavo Aguirre
Poetas franceses contemporáneos (De Baudelaire a nuestros días) Vía
Foto: Ch.B. por Felix Nadar 1855 [+]